L’affaire Fortis en degré d’appel: les faits depuis vendredi 12 décembre jusqu’au lundi 15 décembre.

Tout d’abord il faut savoir que ma cellule stratégique et moi-même nous sommes tenus délibérément à l’écart des procédures judiciaires dans l’affaire Fortis. L’entièreté du procès Fortis n’a délibérément été suivi que de loin par moi et ma cellule stratégique.

Le vendredi 12 décembre 2008 en début de l’après-midi, j’ai été informé par le cabinet du Premier Ministre qu’il y aurait probablement des irrégularités de procédure dans le procès de Fortis. C’était la première fois que j’en avais entendu parler.

Le cabinet du Premier Ministre était tenu de m’en informer en qualité de Ministre de la Justice. Sur ce, j’ai informé le Procureur général près la Cour d’Appel de Bruxelles. Ceci s’est fait dans le cadre de l’article 140 du Code judiciaire qui impose au Ministère Public de veiller à la régularité du service de la justice et à l’exécution des lois dans les juridictions

Nous avons informé le Procureur général à Bruxelles que de sérieuses difficultés se présenteraient probablement à la séance de vendredi après-midi dans l’affaire Fortis.

Le Procureur général qui, en tant que ministère public, doit prononcer un avis dans l’affaire de Fortis, nous informait qu’à sa connaissance aucune séance n’était prévue pour ce vendredi après-midi.

J’insiste sur le fait que la seule demande que nous ayons faite est d’exprimer au Procureur général notre préoccupation quant au déroulement correct de la procédure, et nous avons demandé au Procureur général de veiller à la régularité de la procédure.

Personnellement, je suis parti vers 15 heures pour un discours à Louvain. Dans la voiture, j’ai reçu un appel téléphonique de Jan De Groof. Il m’a tenu des propos comparables à ceux que j’avais déjà entendus et dont je viens de vous parler. En l’écoutant, j’ai compris que son épouse Madame Schurmans est l’un des conseillers concernés, c’est-à-dire le Conseiller à la Cour d’appel. Jusqu’à ce moment, je ne savais pas que Madame Schurmans était l’épouse de M. De Groof, ni qu’elle siégeait comme conseiller dans l’affaire Fortis.

Le soir, le Procureur général nous a informés qu’à sa propre initiative et sur base de son pouvoir conformément l’article 140 du Code Judiciaire, il avait proposé une solution sereine au Premier Président de la Cour d’Appel. Il avait proposé au premier président qu’une nouvelle chambre composée allait encore établir un arrêt. Apparemment, cette option n’a pas été retenue.

Aux alentours de 20h00, il y avait un arrêt. Vers 21h48 le cabinet du Ministre des Finances me l’a envoyé.

Samedi matin 13 décembre, j’ai reçu à ma demande, un récit oral du Procureur général près la Cour d’Appel de Bruxelles ainsi que du Procureur général de la Cour de Cassation concernant les faits comme ils se sont présentés. Le Procureur général de la Cour d’Appel de Bruxelles m’avait annoncé qu’il rédigerait un rapport sur base de l’article 1088 du Code judiciaire portant sur les actes faits par des conseillers dans lesquels ils excèdent leurs pouvoirs.

Considérant que dans la procédure de l’article 1088 du Code Judiciaire je suis obligé en tant que Ministre de la Justice d’intervenir dans la procédure, j’ai immédiatement informé le gouvernement qu’il m’était impossible de continuer à assister aux débats du gouvernement en matière des prises de position dans le procès Fortis. Je l’ai d’ailleurs annoncé dès le début de la réunion du cabinet restreint, après quoi j’ai quitté cette réunion.

Le lundi 15 décembre 2008, en soirée, j’ai reçu le rapport du Procureur général près la Cour d’appel de Bruxelles. J’ai informé le Premier Ministre que j’avais reçu un rapport, mais je n’en ai pas divulgué le contenu, afin de pouvoir garder ma liberté d’action comme Ministre de la Justice pour agir comme de droit.

Jusqu’à présent, je n’ai pas pris de décision à ce propos. Je pensais et je continue à penser que dans cette affaire il appartient d’abord aux parties à la cause de faire valoir et d’épuiser elles-mêmes leurs moyens de droit.

Concernant l’affaire Fortis en première instance (en référé): les faits depuis jeudi 6 novembre 2008
Jeudi 6 novembre aux alentours de midi, mon directeur de la cellule stratégique Justice a été contacté personnellement par son collègue de ma cellule stratégique Politique générale. Il était en réunion avec les chefs de cabinet des Premier Ministre et Vice-Premier Ministres, où il y a eu consternation concernant l’avis donné par le Ministère public dans l’affaire Fortis. Le directeur du cabinet de la Justice en a conclu qu’à ce moment là, l’avis avait déjà été prononcé.

La question qui fut posée à mon chef de cabinet Justice était s’il pouvait recevoir le «conseiller de l’État belge » et s’il pouvait également lui téléphoner.

Vers 13h00, il a eu l’avocat en ligne. Celui-ci a donné à mon chef de cabinet le compte rendu suivant : l’avis du Ministère Publique pouvait provoquer l’hypothèque de la construction élaborée pour sauver Fortis. Il se posait la question de savoir si cet avis était rédigé de manière équilibrée et s’il s’agissait d’un avis soutenu par la hiérarchie judiciaire du parquet c.à.d. le Procureur général de Bruxelles et même le Procureur général de la Cour de Cassation. Il affirmait très bien connaître la voie hiérarchique et ne pouvait s’imaginer que l’avis avait été établi seulement par un substitut. Mon directeur de cabinet lui a promis de s’informer auprès du Procureur du Roi à Bruxelles.

Vers 13h30, mon directeur de cabinet a pris contact avec le Procureur du Roi Bruno Bulthé, en lui demandant si l’avis prononcé avait été établi en concertation avec le Parquet général. Il a confirmé au directeur que l’avis avait été entièrement établi en gestion directe par son substitut Paul Dhaeyer, spécialiste en matière d’affaires fiscales et financières. Il en avait lui-même fait la révision. À la demande du directeur si une copie de l’avis pouvait être envoyée, le Procureur du Roi lui a répondu, à la surprise de mon directeur de cabinet – qui était convaincu à ce moment que l’avis avait déjà été prononcé, qu’il ne voulait pas lui transmettre une copie de cet avis.

Après cet entretien téléphonique, le directeur-adjoint de mon cabinet a signalé à mon directeur qu’il avait reçu sur le temps de midi un appel téléphonique de Paul Dhaeyer, qui était apparemment mal à l’aise parce qu’il avait reçu un coup de fil de son ancien collègue Pim Vanwalleghem, du cabinet du premier ministre. Le directeur adjoint a dit à Monsieur Dhaeyer qu’il devait rester serein et qu’il devait prononcer son avis tel quel et en toute indépendance en sa qualité de magistrat, sans se laisser influencer.

Et c’est par après que le malentendu dans le contact avec le directeur du Procureur du Roi a été découvert et je cite le mail de 16h30 entre les deux collègues de mon cabinet (directeur-adjoint au directeur):

“Apparemment la séance était cet après-midi. Info: www.destandaard.be.”

Mon directeur de cabinet a tout de suite compris qu’au moment où il avait téléphoné au Procureur du Roi, la séance devait encore avoir lieu, et comprenait également pourquoi le Procureur du Roi ne voulait pas lui transmettre un exemplaire. Plus tard dans la journée, le contenu a été communiqué à mon cabinet et une copie de l’avis a été envoyée.

Je souligne que mon directeur dans sa fonction, ne suit pas le procès Fortis de près et qu’il ne s’était pas rendu compte à ce moment là qu’il demandait, apparemment peu de temps avant la séance, des informations au Procureur du Roi. Ceux qui connaissent le cours des choses savent qu’il est très courant qu’un cabinet demande des avis, des renseignements, un jugement ou d’autres pièces. C’est souvent même indispensable afin de pouvoir répondre aux questions parlementaires.

Le citoyen également pose des questions aux Ministres concernant un nombre de problèmes individuels mais également structurels et judiciaires. C’est pourquoi nous prenons régulièrement contact avec l’ordre judiciaire.

En ce qui concerne les contacts qui auraient été pris entre la Chancellerie et l’ordre judiciaire, soit en première instance, soit en appel, je ne souhaite pas m’exprimer d’avantage et vous devriez vous adresser au Premier Ministre.

E ce qui concerne les autres éléments des questions, je ne peux malheureusement pas vous répondre car je ne connais tout simplement pas la réponse:

  • les circonstances exactes des contacts entre le cabinet du Premier Ministre et l’ordre judiciaire
  • si 2 scénarios ont été préparés en première instance ;
  • concernant « le raisonnement du juge De Tandt ;
  • si le 11 décembre 2008 le gouvernement était déjà au courant de l’arrêt;
  • Pourquoi le SFPI a voulu modifier la procédure en appel précisément jeudi et vendredi 11 et 12 décembre sur base du nouvel élément que constituait le jugement de la Commission européenne, alors que ce fait était déjà connu depuis une semaine;
  • est ce que le gouvernement savait qu’un des juges ne serait pas présent le 12 décembre?
  • qui dans votre gouvernement a avancé la possibilité de récuser le juge Blondeel?

Jo Vandeurzen

Vice-premier Ministre, Ministre de la Justice et des Réformes Institutionnelles