Il ne saurait y avoir d’Etat de droit sans garantie constitutionnelle de l’indépendance du pouvoir judiciaire. L’indépendance du pouvoir judiciaire et des Hautes juridictions qui le composent est une conséquence directe d’une interprétation stricte du principe de séparation des pouvoirs et un corollaire nécessaire à la protection judiciaire des droits. Sans indépendance, point d’existence du pouvoir judiciaire ; point de puissance de juger si cette fonction est confondue avec le législatif ou l’exécutif, dans l’esprit de la pensée de Montesquieu. Toutes les institutions doivent contribuer à consolider cette indépendance tant elle est au fondement de l’office du juge.

Si l'indépendance des juridictions est classiquement entendue sur le plan organique et fonctionnel, la dimension budgétaire du principe d'indépendance ne doit pas être oubliée tant l'autonomie budgétaire se situe au fondement-même des autres garanties et d'une indépendance effective des Hautes juridictions. Car protéger l’indépendance des juges dans l’intérêt des justiciables, c’est avant tout donner à ses titulaires, personnes et institutions, les moyens concrets d’exercer pleinement leur fonction. Le juge doit en effet bénéficier d’un traitement décent qui puisse le mettre à l’abri des tentations qui émaneraient tant du pouvoir politique que du monde économique ; et la juridiction doit avoir l’assurance du pouvoir politique de bénéficier des moyens de fonctionnement suffisants, ce qui se traduit dans la consécration d'une véritable autonomie budgétaire, c'est à dire une autonomie de gestion et une autonomie de décision. Or, la tendance, dans les pays de l’espace francophone, est plutôt celle de l’insuffisante autonomie budgétaire du pouvoir judiciaire, induisant alors toujours le spectre d'une ombre portée du pouvoir exécutif sur le fonctionnement de ces Hautes juridictions.

C'est pourquoi l'AHJUCAF, cadre privilégié de débats sur les valeurs et les principes d’une justice démocratique au service des citoyens, et d'échanges sur les meilleures pratiques pour répondre à ces impératifs, s'est saisie de cette question à l'occasion de son colloque qui s'est déroulé les 9 et 10 octobre 2017 au Palais d’Egmont à Bruxelles. Elle invite les pouvoirs publics nationaux à engager un dialogue avec leurs Cours suprêmes pour la mise en oeuvre des recommandations suivantes : 2

Renforcer l’indépendance des Hautes juridictions par leur autonomie budgétaire

Elaboration du budget

Permettre au président de la Cour suprême ou à un haut conseil de justice, dans le cadre d’un dialogue de gestion sur des objectifs partagés, d’avoir comme interlocuteur direct le Parlement pour la préparation et la discussion du budget annuel de la Cour

Décision

Instaurer un mécanisme de protection pour éviter les restrictions budgétaires (minimum budget annuel n-1 plus inflation, accord du haut conseil de justice pour toute variation…)

Doter les juridictions suprêmes d’un budget de programme spécifique au sein du budget adopté par le Parlement

Pouvoir disposer de ressources autres que des fonds publics, pour abonder leur budget propre, dans des conditions non susceptibles de remettre en cause l’indépendance des Hautes juridictions

Gestion

Disposer de l’autonomie de gestion du budget de la Cour, sous la responsabilité décisionnelle du chef de Cour assisté d’un service spécialisé

Disposer d’une structure administrative et budgétaire d’un haut niveau de compétence avec des personnels bénéficiant d’une formation continue adaptée

Doter les juridictions d’un modèle comptable performant avec comptabilité analytique alimentée par les données issues de la comptabilité d’exercice

Assurer une gouvernance démocratique, via une instance collégiale de délibération et un processus de concertation avec les personnels

Autoriser, dans le cadre d’un budget global reçu en début d’année, la fongibilité entre certains postes budgétaires et permettre d’utiliser en cours d’exercice les économies réalisées par une bonne gestion à des priorités définies par la Cour

Contrôle

Utiliser des logiciels de gestion budgétaire avec contrôle automatisé des dépenses

Renforcer le contrôle interne et proscrire tout contrôle a priori du pouvoir exécutif

Assurer un mode de contrôle externe a posteriori respectant l’indépendance juridictionnelle de la Cour, par une instance indépendante du pouvoir exécutif 3

Evaluation

Assurer la qualité de la justice en retenant des méthodes d’évaluation adaptées au regard des objectifs fixés par chaque Cour et des moyens alloués, pouvant inclure des méthodes participatives d’évaluation telles que les enquêtes auprès des usagers et les évaluations par les pairs

Rendre compte en toute transparence à la représentation nationale et aux citoyens de l’activité de la Cour au regard des objectifs fixés et des moyens affectés

S’appuyant sur ces orientations, l’AHJUCAF suggère à l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), dans le cadre de son soutien constant aux manifestations de ses réseaux institutionnels et via ces derniers, d'engager une concertation globale entre Cours suprêmes, Cours constitutionnelles, Conseils supérieurs de justice, Cours des comptes, pour prolonger ces discussions et sensibiliser encore plus les Etats et gouvernements à la question cruciale, pour l'Etat de droit, de l'autonomie budgétaire des Hautes juridictions.

Délibération adoptée à l’unanimité des membres présents de l’AHJUCAF au Palais d’Egmont à Bruxelles, le 10 octobre 2017

Pour l’AHJUCAF,

Le Président, Ousmane BATOKO

Le secrétaire général, Jean-Paul JEAN

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