C’est Jaouad Alloul, artiste et activiste LGBTQIA+, qui a mené les débats.

Le 18 avril 2023 s’est tenu le second colloque de la série « Accès à la justice », axé cette fois sur le thème du genre et de la justice.

A cette occasion, le ministre de la Justice Vincent van Quickenborne, le président du comité de direction du SPF Justice, Jean-Paul Janssens, et un panel d’experts se sont réunis aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique pour discuter de la notion de genre et de la place qu’elle occupe dans la justice.

Cette année, nous avons eu la chance de pouvoir organiser le colloque de manière hybride, contrairement au premier colloque qui s’était déroulé virtuellement durant la crise sanitaire. C’est Jaouad Alloul, artiste et activiste LGBTQIA+, qui a mené les débats.

Le genre, un sujet brûlant

Jean-Paul Janssens, président du SPF Justice, a ouvert la journée en soulignant les efforts importants de la Justice en termes d’égalité des sexes dans le système judiciaire. Il qualifie le thème du genre comme un sujet brûlant, étroitement lié à la justice, et qui mérite toute notre attention. Le SPF Justice se veut inclusif et œuvre quotidiennement pour promouvoir une législation et des politiques sensibles au genre dans tous les domaines de la justice. Pour le président, « il est essentiel que nous travaillions tous ensemble pour garantir que les droits de tous les citoyens, indépendamment de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre, soient protégés et respectés. »

Des réformes pénales nécessaires

C’était ensuite au tour du ministre de la Justice, Vincent van Quickenborne de prendre la parole. Le ministre a rappelé les lois et codes qui existent déjà et qui sont très en avance sur leur temps. Il souligne notamment l’importance de réformer la législation, imprégnée d’une mentalité paternaliste et arriérée en évoquant entre autres les peines pour viol et violences domestiques revues à la hausse, l’introduction dans le code pénal de la notion de consentement, de l’identité de genre, etc.

Cependant, ces améliorations n’éliminent pas toutes les injustices. C’est pourquoi la justice fournit un travail de prévention avec des formations obligatoires pour ses collaborateurs et une nouvelle possibilité de punir, en mettant les victimes et leurs besoins au centre des discussions.
Le ministre est aussi revenu sur l’introduction de l’alarme mobile contre le harcèlement pour prendre des mesures plus rapides dans les cas de harcèlement mettant la vie d’autrui en danger.

Pour entrer dans le vif du sujet, Jaouad Alloul, artiste et modérateur pour cet événement, a pris la parole en proposant un monologue poignant retraçant son enfance et son parcours d’homosexuel au sein de la communauté magrébine et musulmane.

Violences sexuelles : zoom sur les chiffres

Après les discours introductifs, une première session interactive avec le public a pris place pour initier le premier débat de la journée : les violences fondées sur le genre. C’est Ines Keygnaert (professeure à l’Université de Gand) qui a guidé cette session de questions pour ensuite proposer une analyse des chiffres sur les violences fondées sur le genre en Belgique. Ines Keygnaert a d’abord introduit la théorie de la « victime idéale » qui regroupe un ensemble de caractéristiques qui décriraient la victime-type de violences sexuelles : victime féminine, faible, qui exerce une activité « respectueuse », attaquée/violée par un inconnu grand et costaud. Les études et chiffres montrent pourtant que cette théorie ne reflète pas la réalité et que tout le monde peut être victime de violences sexuelles et domestiques.

Pour citer quelques chiffres, une étude démontre qu’en Belgique 10% des hommes et 20% des femmes qui ont la maturité sexuelle ont déjà subi au moins une fois une forme de violence sexuelle et pour la majorité d’entre eux, l’agresseur était un proche. Autres chiffres marquants : au cours de leur vies, 81% des femmes et 48% des hommes ont déjà été victimes de violences sexuelles.

« Il est temps d’ouvrir les yeux sur cette réalité et d’offrir les bons soins aux victimes. » Pour conclure son intervention, Ines Keygnaert encourage à l’éducation et à la sensibilisation des différentes formes de violences et agressions sexuelles qui existent pour que les potentielles victimes puissent les identifier et agir en conséquence.

Violence fondée sur le genre

Le premier débat sur les violences fondées sur le genre a été alimenté par Marijke Weewauters (Institut pour l’égalité des femmes et des hommes), Max Nisol (psychologue clinicien, co-fondateur de Genres Pluriel) et Elisabeth Palmero (chargée de projets européens pour la lutte contre les violences sexuelles dans le contexte de la migration).

Pour les intervenants, la discrimination et le manque d’accès à la justice sur la base du genre sont très présents. Les minorités (LGBTQIA+, migrants…) se sentent moins bien prises en charge et ne sont parfois même pas reconnues par les autorités judiciaires qui ne sont ni formées ni informées sur les notions de genre et de violence liée au genre. Tous les trois sont d’avis qu’il est nécessaire d’informer et de former tous les corps de métiers en lien avec la justice, notamment les policiers et les magistrats. Cela est nécessaire pour que les personnes LGBTQIA+ puissent avoir accès à la Justice.

Pour clôturer la première partie de cette journée, Sarah Schlitz, ancienne secrétaire d’Etat à l’Egalité des genres, à l’Egalité des chances et à la Diversité, est revenue sur les avancées et plans dans la lutte contre les violences sexuelles et domestiques.

Elle pointe du doigt le retard des politiques sur les réalités sociétales, ce qui entraîne un manque de confiance de la part des victimes. Mais les choses avancent, avec tout d’abord de la motivation, mais aussi l’application de la Convention d’Istanbul en Belgique. Cette convention, composée de plus de 200 mesures et ratifiée en 2017, s’attaque à une série de formes de violences à l’égard des femmes et de violences domestiques.

Sarah Schlitz mentionne le plan de lutte contre les violences de genre qui vise à créer un socle de formations, prendre en considération la dimension du genre dans les différentes administrations et dans le milieu carcéral.

Sur le plan pénal, un travail est réalisé pour, entre autres, définir le viol par l’absence de consentement, ce qui constitue une « petite révolution » et est qualifié « d’avant-gardiste sur le plan européen » par Sarah Schlitz. La lutte s’étend également au harcèlement et aux violences en ligne, dans laquelle se retrouvent le viol à distance et le revenge porn. L’objectif est que le harcèlement en ligne soit assimilé à du harcèlement hors ligne.

Hyper-masculinité et masculinité positive

Après la pause de midi, c’est le thème du « genre dans la détention » qui a été discuté. Dans un premier temps, Koen Dedoncker, membre des A.S.B.L. Zijn et MoveMen et Jolien Lescrauwaet, membre du CAW Flandre Nord-Ouest ont présenté leurs études et analyses sur la masculinité dans le milieu carcéral. Tous les deux œuvrent pour le projet M, un projet autour de la masculinité en détention. Koen Dedoncker constate que les hommes composent 95% des détenus et doivent constamment prouver leur masculinité, montrer leur force et non leur vulnérabilité.

Jolien Lescrauwaet ajoute que la prison est un lieu très binaire et hyper-masculin. Cette hyper-masculinité pourrait s’expliquer par des règles tacites dans les prisons qui norment la masculinité et qui rendent l’aide plus compliquée. De plus, une hiérarchie basée sur la masculinité entre hommes existe en prison. Les hommes incarcérés porteraient un masque pour leur survie. « Tout le monde a ses émotions mais on ne les montre pas, on ne veut pas se montrer vulnérable par rapport aux autres », partage d’ailleurs courageusement un détenu.

Pour en revenir au Projet M, celui-ci trouve son inspiration dans un projet lancé il y a 20 ans dans les favelas au Brésil. Le but de ce projet est de se réunir avec des détenus, discuter avec eux et leur proposer des outils pour une masculinité positive. Les résultats de ce projet sont prometteurs. Il a permis d’augmenter la confiance en soi des participants, de leur faire reprendre un rôle dans la société, car contrairement aux codes de la prison, les détenus pouvaient être eux-mêmes.

Les femmes dans la détention belge

La deuxième partie du thème « le genre dans la détention » s’est intéressée aux femmes dans le milieu carcéral. Pour présenter le sujet, Olivia Nederlandt, professeure de droit à l’Université Saint-Louis, a détaillé sa recherche sur les conditions d’incarcération des femmes en Belgique et les résultats de celle-ci. Il ressort que les femmes sont presque isolées dans les prisons, dans des quartiers plus petits et moins bien équipés que les quartiers des hommes. Les tâches de travail sont également très genrées. Ces analyses mettent en avant que les besoins et spécificités des femmes ne sont pas assez ou pas du tout pris en considération dans l’univers carcéral.

Les personnes LGBTQIA+ dans les prisons 

La troisième et dernière partie de ce colloque a abordé les minorités dans le milieu carcéral. Pour leur intervention, Davo Maras, collaborateur scientifique chez Transgender Infopunt et Tom Van Wynsberge, membre de la DG EPI du SPF Justice, se sont concentrés sur la diversité de genre dans les prisons belges et les expériences de personnes transgenres dans nos prisons. Selon Davo Maras, les prisons sont hétéronormées : on part du principe que tous les détenus sont cisgenres, ce qui n’est pas le cas et doit donc représenter un défi pour les prisons. Davo Maras et Aurore Vanliefde travaillent à une série de solutions pour éduquer le personnel des prisons sur le genre et les idées reçues.

Ensuite, Tom Van Wynsberge a abordé les recommandations de la DG EPI concernant les détenus transgenres. Les personnes transgenres demandent une attention particulière, il est donc important d’être informé sur leurs spécificités. La DG EPI veut donner des outils au personnel afin d’améliorer la vie des personnes transgenres en prison. Pour cela, il faut un engagement du personnel, respecter les droits des détenus, et être attentif aux signaux, tout en gardant la sécurité comme point d’orgue. Ces recommandations se veulent inclusives et non séparatrices, le but n’est pas de créer des sections spéciales pour les personnes transgenres.

Le second débat de ce colloque a abordé les perspectives d’avenir sur le sujet du genre dans la détention avec Pieter Cannoot (professeur de Droit et Diversité à l’UGent), Marion Guémas (A.S.B.L. I.Care), Yves Sevenants (directeur de la prison de Marche-en-Famenne). Pour introduire ce débat, un court reportage réalisé à la prison de Bruges sur la vie des personnes LGBTQIA+ en milieu carcéral a été diffusé. Ce reportage reprend différents témoignages du personnel et des détenus de la prison et révèle aussi bien les réalités sur le harcèlement des détenus LGBTQIA+ de la part d’autres détenus ou de certains membres du personnel que les marques de soutien dont la communauté bénéficie aussi. 

Sur la question du caractère binaire des prisons, les trois intervenants s’accordent sur la non nécessité de ce système car celui-ci ne reflète pas la société. La création d’une troisième section pour les personnes non-binaire n’est pas non plus une solution. Elle ne ferait qu’isoler encore plus la communauté LGBTQIA+. Une des solutions est la sensibilisation et cela bien avant la prison, qui est qualifiée de « bout de la chaîne » par Marion Guémas. La société doit être inclusive et tolérante avant d’exiger que le milieu carcéral le soit. Les intervenants insistent sur la nécessité d’inclure l’éducation sur le genre dans le cursus de formation des futurs membres du personnel des prisons.

Pour terminer cette journée enrichissante, Sarah Blancke, membre du comité de direction du SPF Justice, a tenu à remercier tous les participants et organisateurs de ce colloque. Elle a ensuite résumé les différents sujets abordés durant cette journée et partagé ses impressions pour chacun d’entre eux. Le genre est un sujet qui demande toute notre attention. Une chose est sûre, la Justice passe à l’action, à travers des actions de sensibilisation, des formations. Le SE P&O développe une brochure informative et une politique sur tous les types de harcèlement. Sarah Blancke a clôturé ce colloque par cette phrase résumant la vision du SPF Justice sur le sujet : « Aucun harcèlement n’est toléré. »

>> Revoir le colloque Gender & Justice

Jean-Paul Janssens Vincent Van Quickenborne Table ronde Sarah Schlitz Table ronde