Rapport final de la Commission Dutroux - avril 1997

" Les drames vécus par les victimes doivent ouvrir la voie à une réforme en profondeur du système de justice pénale. Leur souffrance est à ce prix. La responsabilité du parlement est pleinement engagée dans cette entreprise qui doit être menée à bien."

Cette citation extraite du rapport final de la Commission Dutroux exprime clairement l'importance de la réforme de la justice.  Dix-sept ans après l'affaire Dutroux et trente ans après l'affaire des tueurs du Brabant, le gouvernement Di Rupo trace définitivement les contours du nouveau paysage judiciaire.

Cette réforme fondamentale du troisième pouvoir de notre pays peut se résumer en trois grands piliers :

  1. Élargissement d'échelle : les 27 arrondissements judiciaires sont ramenés à 12 nouveaux arrondissements judiciaires
  2. Mobilité : les magistrats peuvent être affectés de manière plus flexible en fonction des besoins et des nécessités
  3. Gestion : sur la base d'un engagement de résultat, le pouvoir judiciaire devient lui-même responsable de la gestion de son budget et de son personnel

Ces trois piliers ont été coulés dans différents projets de loi par la ministre de la Justice, Annemie Turtelboom. Les deux premiers piliers de la réforme ont été coulés dans un projet qui a été approuvé en seconde lecture par le conseil des ministres le 31 mai 2013. Le projet a entre-temps été transmis au parlement afin d'y être examiné.

Le second projet de loi, relatif à la gestion de l'ordre judiciaire, a aujourd'hui été soumis une première fois au conseil des ministres et a été approuvé. Ce projet de loi va à présent être transmis pour avis au Conseil d'Etat.

Nous résumons une fois encore les lignes directrices du premier projet de loi intégré avant d'examiner plus en détail le second projet de loi final sur la "gestion de l'ordre judiciaire".

1.   Arrondissements

Le paysage judiciaire a été réaménagé suite à la réforme des polices. Les 27 arrondissements seront rassemblés en 12 arrondissements plus importants. La réforme des polices a montré que l'élargissement d'échelle présente des avantages en termes de gestion, de personnel, de budget, de spécialisation en interne et de service au citoyen.

Ces nouveaux arrondissements judiciaires se baseront sur le niveau administratif existant des provinces, aucune nouvelle structure n'étant créée. Il sera toutefois tenu compte des spécificités de Bruxelles et d'Eupen et il restera 12 arrondissements judiciaires : les 10 provinces + Bruxelles et Eupen.

Ces arrondissements plus grands présentent un certain nombre d'avantages, tant pour l'ordre judiciaire que pour le citoyen :

  • les arrondissements correspondront aux frontières des provinces, ce qui rendra la politique de poursuites pénales uniforme dans toute la province, tout en respectant les spécificités des zones urbaines et rurales ;
  • la direction et la coordination seront assurées depuis un même lieu. Dans la majorité des cas, il s'agira du chef-lieu de la province ;
  • les corps pourront être gérés de manière plus efficiente car la diminution du nombre de mandats conférera aux chefs de corps une plus grande responsabilité et leur donnera une certaine latitude pour se spécialiser dans le management ;
  • l'arriéré judiciaire pourra être éliminé plus rapidement grâce à une mise en œuvre plus efficiente des moyens, ce qui réduira les délais de traitement ;
  • Il y aura une amélioration des possibilités de coopération entre les petites entités et les entités de taille moyenne.

Quelques exemples concrets :

Dans le nouvel arrondissement judiciaire du Limbourg, qui se compose actuellement des arrondissements d'Hasselt et de Tongres, les deux arrondissements plus petits pourront tirer profit de leur transformation en un grand arrondissement :

  • ils pourront commander eux-mêmes leur matériel de bureau, ce qui leur permettra de réagir rapidement, en fonction des besoins locaux ;
  • Hasselt et Tongres pourront convenir entre eux des matières dans lesquelles ils se spécialiseront. Par exemple les dossiers en matière d'environnement pour Tongres et les dossiers financiers pour Hasselt. Ainsi, les deux arrondissements ne seront plus obligés d'avoir chacun toutes sortes d'experts, ce qui est compliqué vu le nombre de magistrats dont ils disposent.

2. Mobilité et spécialisation

Les magistrats seront nommés au niveau du nouvel arrondissement judiciaire. Comme les arrondissements deviendront plus grands, les magistrats seront nommés à une plus grande échelle et pourront être affectés dans toute la province.

Les chefs de corps auront donc plus de possibilités pour prendre en charge les changements de besoins occasionnels (maladie, congé de maternité, congé...) ou structurels en termes de personnel.  En effet, de nombreux tribunaux, surtout les plus petits, disposent d'un nombre limité de magistrats ; les problèmes surgissent alors rapidement lorsque quelqu'un se désiste parce qu'il est malade ou décide de travailler à mi-temps.

Par ailleurs, les chefs de corps disposeront d'une certaine marge de manœuvre pour désigner les magistrats spécialisés dans certaines matières. Le règlement de répartition des affaires permettra aux différentes divisions de décider entre elles qui se spécialisera dans telle ou telle matière. 

Cette mobilité plus importante et la possibilité de spécialisation présentent un certain nombre d'avantages, tant pour l'ordre judiciaire que pour le citoyen :

  • la résolution rapide des problèmes de personnel permettra d'éviter des retards et par conséquent un arriéré, ce qui est bénéfique pour le service au citoyen ;
  • une mobilité accrue créera des possibilités de spécialisation. Chaque division ne devra pas disposer de tous les types d'expertise. Le règlement de répartition des affaires permettra de se mettre d'accord sur qui se spécialise dans telle ou telle matière. Les magistrats spécialisés pourront suivre et traiter des dossiers dans toute la province.

Quelques exemples concrets :

Dans le nouvel arrondissement judiciaire d'Anvers les différentes divisions pourront se spécialiser.

  • Dans la province d'Anvers les arrondissements pourront se spécialiser dans les différents dossiers. Par exemple Anvers se spécialise dans les dossiers de douanes, Malines dans l'urbanisme et Turnhout dans les affaires en matière d'environnement. Dans la pratique, les parquets de Malines et de Turnhout avaient déjà conclu un arrangement de ce type mais, au moment où l'affaire était transmise au juge de fond, le juge territorialement compétent devait reprendre le dossier. L'introduction du règlement de répartition des affaires fera que, de l'enquête au jugement, toutes les affaires pourront être traitées au même endroit
  • Dans la province de Flandre- Orientale un accord semblable existe. Le parquet de Termonde suit toutes les affaires concernant le trafic d'hormones et de criminalité informatique, le parquet de Gand suit les dossiers de criminalité environnementale.
  • Dans le ressort de Gand, un magistrat se déplacera partout afin de se charger de toutes les affaires en matière d'environnement

3. Gestion

Rapport final de la Commission Dutroux - avril 1997

Les chefs de corps assument une responsabilité très importante en ce qui concerne l'organisation de leur service. Ils exercent une surveillance sur le corps et veillent notamment à la qualité du travail fourni. La commission Dutroux plaide pour l'octroi d'une enveloppe de moyens de fonctionnement au chef de corps sur base d'une évaluation des besoins et des priorités."

Le pouvoir judiciaire est indépendant dans les décisions qu'il rend mais dépend du ministre de la Justice en ce qui concerne l'organisation de son personnel et ses moyens. Tout a été réglementé au fil des années dans des lois et des arrêtés royaux. De ce fait, l'ordre judiciaire fonctionne aujourd'hui selon une structure rigide, sans flexibilité, et peut donc difficilement réagir aux changements de circonstances.

Cette structure rigide affecte le service au citoyen et le met en danger, en raison, par exemple, de l'accroissement incessant de l'arriéré judiciaire. Pour remédier à cela, il est important que l'ordre judiciaire puisse lui-même décider de l'affectation du personnel et des moyens et puisse réagir de la manière la plus flexible possible aux changements de circonstances et aux situations inattendues.

Le troisième volet de la réforme de la justice concrétise cette possibilité.

La nouvelle structure de gestion de la Justice

L'ordre judiciaire reçoit davantage d'autonomie et de responsabilités. Dans les domaines de la gestion, un contrat de gestion avec obligation de résultat deviendra le baromètre objectif sur la base duquel le personnel et les moyens sont attribués.

Pour rendre cela possible, la réforme de la justice créera trois nouveaux organes qui constitueront le pivot de la nouvelle structure. Ces organes seront responsables de la répartition des moyens entre les entités locales au sein de l'ordre judiciaire.

Le ministre de la Justice établira en concertation avec ces trois organes le cadre dans lequel l'ordre judiciaire pourra opérer. Le cadre lui-même sera rempli par l'ordre judiciaire via des plans de gestion. 

Les nouveaux organes, leur composition et leur mission :

·         Le Collège du ministère public

(5 procureurs généraux, 3 membres du Conseil des procureurs du Roi, 1 membre du Conseil des auditeurs du travail, 1 procureur fédéral)

Le Collège du MP recherchera la qualité intégrale dans le domaine de la communication, de la gestion des connaissances, de la qualité, des processus de travail, de l'informatisation, de la gestion des ressources humaines, des statistiques, de la mesure et de la répartition de la charge de travail afin de contribuer à une application de la loi accessible, indépendante, prompte et de qualité.

Le Collège du MP pourra donner des directives et des recommandations contraignantes aux comités de direction qui représenteront les entités locales.

Le Collège prendra ses décisions à la majorité, avec au moins 1 voix dans chaque rôle linguistique. La composition du Collège sera paritaire.

Le Collège du MP répartira les moyens disponibles entre les parquets en se basant sur les plans de gestion rédigés par les comités de direction de ces entités locales.

·         Le Collège des cours et tribunaux

(3 premiers présidents de cours d'appel, 1 premier président de cour du travail, 2 présidents de tribunal de première instance, 1 président de tribunal de commerce, 1 président de justice de paix et tribunal de police)

Le Collège des cours et tribunaux prendra des mesures qui garantissent l'accessibilité, l'indépendance, la qualité et la promptitude des décisions judiciaires en organisant notamment la communication, la gestion des connaissances, la qualité, les processus de travail, l'informatisation, la gestion des ressources humaines, les statistiques et la mesure et la répartition de la charge de travail.

Le Collège des cours et tribunaux pourra donner des directives et des recommandations contraignantes aux comités de direction qui représentent les entités locales.

Le président du Collège sera élu pour 2,5 ans parmi les membres du Collège Le Collège prendra ses décisions à la majorité, avec au moins 1 voix dans chaque rôle linguistique. La composition du Collège sera paritaire.

Le Collège du Siège répartira les moyens disponibles entre les cours et les tribunaux en se basant sur les plans de gestion rédigés par les comités de direction de ces entités locales.

·         Cour de cassation

(premier président, président de la chambre, procureur général, premier avocat général, greffier en chef, secrétaire en chef)

La Cour de cassation, qui est la juridiction la plus élevée de notre pays, contrôle si toutes les conditions de forme et règles de droit ont été appliquées ou interprétées correctement. La Cour de cassation ne fait donc pas partie du Collège du siège ou du Collège du ministère public.

Par conséquent, elle doit directement s'adresser au ministre de la Justice pour les questions de personnel et de moyens. Contrairement au Collège du MP et au Collège du siège, la Cour de cassation ne doit pas continuer à négocier avec les entités locales sur la répartition des moyens disponibles.

Contrats et plans de gestion

Le ministre de la Justice conclura un contrat de gestion avec chacun de ces trois organes. Ce contrat de gestion sera lié à un engagement de résultat sur la base duquel seront attribués le personnel et les moyens.

Les organes devront négocier avec le ministre au sujet des moyens qu'ils demandent et devront justifier la manière dont ces moyens seront utilisés. Ainsi, l'ordre judiciaire aura non seulement plus d'autonomie comme il le demande, mais il aura également davantage de responsabilités.

Il appartiendra alors aux organes de gestion et aux entités locales de se concerter, dans les limites de l'enveloppe attribuée, afin de déterminer comment ces moyens seront répartis entre les différentes divisions au sein de l'ordre judiciaire. Cette répartition se fera sur la base d'un plan de gestion que les entités locales devront rédiger et présenter aux Collèges. Les entités locales seront gérées par un comité de direction composé de plusieurs personnes. Les comités de direction devront donc prendre leurs décisions par consensus. Si aucun consensus n'est atteint, la décision appartiendra au chef de corps.

Contrôle

Sur la base des plans de gestion établis par les entités locales, le Collège compétent évaluera si les objectifs sont atteints et si les moyens attribués doivent être adaptés. Les Collèges devront à leur tour se justifier auprès du ministre. Cette justification se fera via un contrat de gestion avec obligation de résultat évalué tous les ans.

Les Collèges comprendront chacun une cellule d'audit interne qui sera responsable du suivi et du contrôle des méthodes de gestion et de la vérification du respect des instructions données par le Collège. La cellule d'audit interne ne sera pas composée de magistrats mais de personnes spécialement formées à cet effet.

Chaque année, les Collèges et les entités locales devront rendre un rapport de fonctionnement. Les comptes seront contrôlés par la Cour des comptes et deux commissaires du gouvernement (SPF Justice et SPF Budget et Contrôle de la gestion) seront désignés pour tout évaluer et contrôler.

Cette nouvelle manière de diriger présente un certain nombre d'avantages, tant pour l'ordre judiciaire que pour le citoyen :

  • l'ordre judiciaire pourra lui-même fixer son ordre des priorités et adapter sa politique aux besoins réels du terrain ;
  • les entités locales pourront elles-mêmes décider de leur politique de ressources humaines et décider du nombre de magistrats qu'elles affectent à chaque type de travail ;
  • les présidents de division pourront organiser leur entité de manière proactive, en organisant par exemple de grands processus d'une manière qui ne compromette le reste du travail.

Quelques exemples concrets :

  • le nombre d'affaires en matière de jeunesse est en augmentation à Anvers. S'ils veulent désigner un magistrat supplémentaire pour traiter ces affaires de manière à ne pas faire augmenter l'arriéré judiciaire, ils doivent demander au ministre d'adapter le règlement particulier par arrêté royal. À l'avenir, les entités locales pourront prendre une telle décision en toute autonomie sans qu'il faille au préalable consulter le ministre ou adapter un arrêté royal ;
  • actuellement, lorsque de grands processus sont mis en place, comme pour le procès L&H à Gand, le ministre doit intervenir pour prendre des mesures adaptées afin que le procès puisse se dérouler sans que le tribunal ne s'en trouve complètement paralysé.

À l'avenir, les entités locales pourront organiser cela elles-mêmes dans les limites de leur enveloppe.

4. Conclusion

L'approbation de ce projet de loi final fait de la réforme de la justice une réalité. Notre paysage judiciaire présentera non seulement un aspect différent, avec moins d'arrondissements et de responsables locaux, mais il deviendra aussi plus flexible. Ainsi, le service au citoyen recevra enfin la priorité qu'il mérite.

De plus, l'arriéré judiciaire, l'efficience et la qualité du service seront inclus dans les évaluations auxquelles les entités seront soumises et, suivant leur résultat, en fonction desquelles le budget et le personnel seront attribués.

En travaillant sur la base de plans de gestion, l'ordre judiciaire pourra pour la première fois être évalué de manière objective sur ses performances. La Justice entre ainsi définitivement dans le 21e siècle.

Plus d'informations

Margaux Donckier

Porte-parole

Ministre de la Justice

Annemie Turtelboom

Tél. : 02 542 80 55

Gsm : 0478 32 47 97

margaux.donckier@just.fgov.be